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La ferme de la Courtade
7 janvier 2014

Davantage de réflexions sur le coût réel de la nourriture

Afin d'élargir le débat sur la valeur d'un panier, j'ai décidé d'écrire un article fondé sur une récente conférence (décembre 2013) tenue à la « Royal Geographic Society » au Royaume-Uni. En présence de nombreux éminents universitaires et chercheurs du monde entier, cette conférence avait pour objectif de recenser beaucoup de recherches en cours tentant d'expliquer le « coût réel de l'alimentation ». L'idée de base est que si la nourriture peut être produite à très bas prix dans notre système actuel, c'est parce que toute une gamme de coûts réels, qui devraient faire partie du prix, sont comptabilisés ailleurs.

Deux cas à titre d'exemples : la pollution et la santé publique ne sont pas répercutées sur le coût réel dans le prix des aliments au kilo. C'est par exemple le cas quand les rivières sont polluées par l'utilisation excessive de produits chimiques agricoles alors que le secteur public a la charge d'assurer que l'eau reste potable. De même, si toute la nourriture bon marché que les gens achètent a un taux élevé de graisses et de sucres, cela augmente l'obésité ou le diabète et devient une épidémie majeure.

Le Mexique est lepays le plus obèse au monde : 33% des habitants sont obèses et 70% en surpoids.

 La « laitue de mer », ou du moins les émanations gazeuses dégagées par la décomposition de ces algues, serait à l’origine de la mort de 36 sangliers dans l’estuaire du Gouessant.

La « vraie comptabilisation du coût » consiste fondamentalement à étudier les faces cachées de notre monde agricole et à mettre en avant les coûts et les valeurs associés au milieu naturel. Il s'agit de chiffrer également la contribution et les dommages aux ressources naturelles majeures. Ainsi, par exemple un article en anglais (Petty et Lang, 2005) a tenté d'estimer le « vrai » coût d'un panier de nourriture à partir des coûts de supermarchés y compris les émissions (émissions de carbone, pollution, dégradation des sols, etc.) Je cite le résumé.

« Ainsi, le coût réel par habitant au Royaume-Uni pour un panier alimentaire (24,79 £) est estimé à 2,91 £ de plus par personne et par semaine (11,8%) si les effets externes et les subventions sont pris en compte. Les contributeurs principaux sont les effets externes agricoles (81 p [centimes]), le transport routier domestique (76 p), les subventions gouvernementales (93 p) et les déplacements au supermarché (41 p)."

Un autre élément du "capital naturel" est le rôle des abeilles dans la pollinisation. Sans abeilles, beaucoup de pratiques agricoles vont tout simplement disparaître ou devenir trop chères, sans parler du manque de nourriture tout court – l'impact le plus terrible.

http://myrmecos.net/wp-content/uploads/2011/03/US_bee_decline1.jpg

Baisse des populations des colonies d'abeilles aux États-Unis

Tout cela devient évident quand vous pensez à la santé publique. En plus des effets sur la santé mentionnés ci-dessus, pensez aussi à des choses comme les maladies cardiovasculaires ou la résistance aux antibiotiques en raison de leur abus dans la chaîne alimentaire. Selon les estimations il y a 19 facteurs principaux de risque de maladies, qui représentent 58,8 millions de décès chaque année, et la nourriture contribue à 10 de ces 19 facteurs, comme par exemple les maladies cardiovasculaires (MCV). En 2011-2030 les maladies cardio-vasculaires devraient engendrer des pertes économiques de 15 trillions de dollars !

http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/01/30/comment-des-antibiotiques-a-haut-risque-sont-autorises-dans-les-elevages-americains_4356193_3244.html

Le docteur Pete Myers a parlé des impacts sur la santé humaine des produits agrochimiques, dont seule une petite fraction a été étudiée et mise en relation avec la santé et les coûts économiques. En particulier, il a étudié l'épigénétique et la perturbation endocrinienne.

Voisin en train de pulvériser le champ entourant la Courtade

Il a donné comme exemple l'effet de 2,5 parties par milliard (ppb) d'atrazine (les agriculteurs l'appliquent généralement à des concentrations plus élevées) sur les grenouilles de l'éclosion jusqu'à l'âge adulte : le résultat était la transformation d'un mâle génétique en une femelle pleinement opérationnelle (c'est-à-dire capable de reproduction - mais ne donnant naissance qu'à des mâles puisque l'accouplement unit deux mâles génétiques). Des produits chimiques puissants sont largement utilisés sans que l'on connaisse vraiment leurs effets, invisibles ou à long terme. Dans ce cas, les effets du changement de genre pourraient  rendre une population stérile et donc l'éliminer.

La conférence abordait de façon détaillée de nombreuses méthodes pour comptabiliser les coûts de façon scientifique. Elle donnait aussi beaucoup d'exemples encourageants de solutions et de production alimentaire moins coûteuse. Permettez-moi donc, pour terminer, de mentionner un ou deux des principaux facteurs.

Les techniques agricoles néo-libérales ont tout simplement besoin d'être rentables et doivent donc changer. Par exemple, si l'énorme montagne de déchets alimentaires était donnée aux porcs (ce qui est interdit en Europe) alors cela permettrait d'économiser sur l'importation de soja d'Amérique du Sud, où la déforestation ajoute énormément au réchauffement climatique (à supposer que les gens ne puissent pas apprendre à moins gaspiller). En fait, si les milliards de petits producteurs dans le monde pouvaient être aidés pour améliorer leur production alimentaire – ce qui s'appelle l'intensification durable – il y aurait suffisamment de nourriture pour tous, et une vie meilleure pour le paysan, sans détruire les écosystèmes et le capital de production biologique.

Catastrophe naturelle dans 9 départements : les secteurs économiques touchés - DDM

 Dégâts dans un élevage industriel de canards par la tempête Klaus, 2009

Cependant, face à la puissance des intérêts des entreprises, nous devons tous devenir des activistes maintenant. Tout récemment, un certain nombre d'articles dans le journal britannique The Guardian faisaient écho précisément aux préoccupations évoquées lors de la conférence.

1) La hausse de température résultant du changement climatique non contrôlé sera finalement plus grave que prévu, selon une nouvelle étude scientifique.
Un chercheur de premier plan a déclaré que si les émissions de gaz à effet de serre n’étaient pas stoppées, la planète se réchaufferait au minimum de 4 degrés centigrades d'ici 2100, soit deux fois le niveau que les gouvernements du monde entier jugent dangereux.

La production agrochimique à grande échelle crée de nombreux effets indésirables

2) Un couloir fertile au Mozambique, occupé par 4,5 millions de petits exploitants et couvrant environ 14,5 millions d'hectares, est en train d'être découpé pour le développement agricole à grande échelle comme cela s'est produit au Brésil. Beaucoup de petits exploitants ont des droits fonciers précaires (la terre est détenue par l'Etat) et il est à craindre qu'ils soient tout simplement expropriés pour faire place à d'énormes propriétés agricole. Des entreprises sud-africaines s'emparent déjà des terres et expulsent les habitants de leurs petites exploitations.

 Un immigrant épuisé d'Afrique subsaharienne se traîne sur la Gran Tarajal

3) L'ampleur de l'épidémie d'obésité dans le monde a été mise en relief de façon saisissante. En particulier, un rapport de l'Overseas Development Institute (ODI) estime le nombre d'adultes en surpoids et obèses dans les pays en développement à plus de 900 millions.

«Les taux croissants de surpoids et d'obésité dans les pays en développement sont alarmants », a déclaré l'auteur du rapport, Steve Wiggins. chercheur à l'ODI : « Si les tendances actuelles persistent, l'énorme augmentation du nombre de personnes souffrant de certains types de cancer, de diabète, d'accidents vasculaires cérébraux et de crises cardiaques va faire peser un énorme fardeau, au niveau mondial, sur les systèmes de soins de santé publique.”

Pour terminer, permettez-moi de raconter une petite histoire sur la situation d'un agriculteur près de chez nous. Lui, son frère et sa mère exploitent une petite laiterie de 80 vaches. Ils devraient être en mesure d'obtenir 1,5 Smic pour leur travail. En fait, aucun d'eux ne perçoit de revenu. Ils sont «obligés» de cultiver du maïs sur les mêmes parcelles chaque année et ils ont souvent des ravines d'érosion en hiver sur des champs en pente.

Ils craignent de changer de système car ils sont à leur compte et, comme dans toute l'agriculture, les risques d'échec reposent entièrement sur leurs épaules. Ils font également partie d'une communauté plus large d'agriculteurs qui suivent les mêmes pratiques et ils ne veulent pas sortir de leur zone de confort. A la longue, la terre va s'épuiser et leurs cultures fourragères auront de moins en moins de rendement s'ils n'ajoutent pas davantage d'intrants chimiques. Ils travaillent sept jours par semaine pour un produit qui est à peine payé par les grandes surfaces. Ils n'ont pas d'enfants et la mère a déjà passé l'âge de la retraite. Cette biographie peut être répétée du haut et en bas du pays et on peut se demander comment va évoluer cette histoire. Sans un investissement important dans l'agriculture, les petits agriculteurs vont disparaître et le système industriel s'intensifier. Ce sont les faits qui font face à la prochaine génération.

Oxfam : le futur de l'agriculture

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  • A la ferme de la Courtade, Fraser et Sophie font pousser de délicieux légumes pour les amapiens de la Côte Pavée. Mais à la Courtade, il y a aussi des poules, des chiens, des ânes, des canards... La Courtade : organic vegetables for you from Pyrénées
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